PETITE NOTICE DE LA BATAILLE DE FORMIGNY

La fin de l’occupation anglaise en Normandie pendant la guerre de Cent ans a été marquée par une campagne militaire très rapide, débutée à l’été 1449 et qui s’achève un an plus tard par la chute de Caen. L’armée de Charles VII, disciplinée, bien commandée et surtout aidée d’une puissante artillerie a pu, au cours de ces opérations qui se sont, fait nouveau, prolongées pendant l’hiver, reprendre un à un les châteaux ou les villes tenues par des garnisons anglaises isolées, démotivées et abandonnées par Londres.
La seule tentative de porter assistance aux troupes anglaises stationnées sur le Continent fut l’envoi, en Mars 1450, d’un corps expéditionnaire de 3000 hommes, commandés par le capitaine Thomas Kyriel. Cette petite armée débarque à Cherbourg, s’attarde en Cotentin ou elle reprend un certain nombre de places fortes, avant de se diriger vers Bayeux et Caen.






Illustrations de la Bibliothèque Nationale de France, tirées d'une version XVe des "grandes chroniques de France" (il s'agit donc d'épisodes du XIVe siècle qui sont illustrés)

La plupart de ses capitaines étant occupés plus à l’est, Charles VII envoie pour intercepter Kyriel le jeune Jean de Clermont, fils du duc de Bourbon, alors à Carentan, qui n’a à sa disposition que 3000 hommes. C’est bien insuffisant pour s’opposer à l’armée anglaise qui s’est grossie de contingents issus des garnisons du Cotentin et de renforts envoyés par les villes de Caen, Bayeux et Vire et en compte 2000 de plus. Prudent, Clermont suit à distance les anglais en empêchant ses officiers de les affronter. En revanche, il envoie un message à Arthur de Richemont, connétable de France, qui campe avec les troupes bretonnes à Saint-Lô. Il lui demande de le rejoindre et de couper la route aux anglais un peu avant Bayeux. Richemont, à marche forcée, commence sa chevauchée, tandis que Clermont a de plus en plus de mal à retenir ses compagnons, imprudemment pressés d’en découdre avec les anglais.

C’est dans les champs d’Aignerville, au matin du 15 Avril 1450, que les deux armées se rejoignent. Les anglais levaient le camp pour se diriger tranquillement vers Bayeux quand apparaît l’avant garde française.


Kyriel fait mettre ses troupes en bataille selon les bons vieux principes anglais ; les archers en avant, protégés par des pieux et des fossés, les autres fantassins et les chevaliers à pied en arrière, tandis qu’une réserve de cavaliers montés constituent l’aile gauche, vers le sud. L’aile droite, un peu en arrière, est appuyée sur un fortin en bois peut-être armé de canons, un « taudis ». Ses troupes ainsi installées face à l’ouest, d’où arrivent les français, Kyriel, plus anglais que jamais, attend.

Clermont, particulièrement prudent, a grand mal à empêcher ses cavaliers de charger le mur anglais dressé devant lui. Il fait arrêter ses troupes à « trois traits d’arbalète » de l’ennemi, pour qu’elles restent hors de portée des flèches anglaises, et ne fait avancer que son artillerie, protégée par des fantassins. Une fois à portée, cette dernière commence à canonner les anglais, qui tentent inutilement de la faire taire par des volées de flèches et subissent leurs premières pertes. Excédé par l’immobilité des français et les ravages que commettent dans ses rangs leurs canons, Thomas Kyriel fait envoyer quelques centaines de vougiers pour réduire au silence les pièces d’artillerie adverses. Leurs défenseurs sont battus, et deux couleuvrines (les seules que possédaient les français ?) sont enfin prises. Voyant cela, Clermont réagit, envoie à son tour des troupes qui reprennent à grand mal aux anglais leur butin. Nous sommes arrivé au milieu de la journée, et les deux armées se font toujours face, hors de portée l’une de l’autre. Conscient qu’il ne pourra plus se tenir très longtemps à l’abri des anglais, et qu’il ne pourra pas davantage continuer à retenir les siens, Jean de Clermont est inquiet. Aucune nouvelle ne lui est parvenue du connétable de Richemont. Son angoisse est encore renforcée par les hurlements de joie poussés par les soldats ennemis, en face, qui viennent d’apercevoir, sur la crête de la colline d’Engranville, au sud du champ de bataille, une forte armée de renfort.

Mais leur joie est de courte durée. Après avoir examiné rapidement la situation des combattants, Richemont -car c’est lui- dévale la colline avec ses 1500 cavaliers et avec son infanterie bretonne. Il va heurter l’aile gauche anglaise qui reflue en désordre, franchit le ruisseau qui le sépare de ses alliés et français et bretons se rejoignent et fraternisent avant de refaire face.

Sentant le vent tourner à son désavantage, Thomas Kyriel décide de faire reculer l’ensemble de ses troupes sur la rive gauche du ruisseau, affluent de l’Aure, et de les adosser au village de Formigny.

C’est une erreur tactique grave ; D’une part elle permet l’achèvement de la jonction entre français et bretons, d’autre part elle prive ses archers de la protection des pieux qu’ils avaient plantés devant eux et les rend indisponibles pendant toute leur phase de déplacement. Enfin elle rompt la cohésion de l’armée, qui se disloque en petits groupes en franchissant le ruisseau, les haies, les vergers plantés de pommiers. Les alliés en profitent, se précipitent vers le pont de Formigny (près de la chapelle actuelle, construite en action de grâce par Jean de Clermont après la bataille), forcent le passage et fondent sur les anglais. Malgré une vaillante résistance, les « godons » sont décimés dans les jardins du village, et la prise du petit fortin construit par eux à l’arrière de leurs lignes sanctionne leur défaite. Mathew Gough et Robert Vere, chefs de la réserve anglaise, réussissent à sauver une partie de l’armée en l’entraînant dans une fuite en bon ordre jusqu’à Bayeux. Kyriel, blessé, est fait prisonnier comme de nombreux gentilshommes anglais. Archers et fantassins sont quant à eux implacablement poursuivis dans les champs et les vergers, et massacrés par les paysans des environs, auxquels se sont joints les pillards traînant à la suite de l’armée française.

Cette victoire aura un retentissement considérable ; la plupart des chroniqueurs contemporains ont veillé à ne pas l’omettre dans leurs récits. Elle inspirera des poèmes, des chansons, un cycle de tapisseries conservées jusqu’à la Révolution au château de Fontainebleau. Nombreux sont les érudits normands du siècle dernier à l’avoir évoquée, et les historiens du Bessin n’ont pas manqué de décrire chacune des phases d’un combat par lequel les anglais perdaient tout espoir de se maintenir en Normandie.

Trois ans plus tard, c’est une autre bataille, celle de Castillon, où l’artillerie jouera également un grand rôle, qui privera l’Angleterre de l’Aquitaine, mettant fin à la guerre de Cent Ans.


par Olivier Renaudeau